L'amerrissage

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Comme tous les matins (du moins en cette région du monde), la lune se muait peu à peu en soleil à visage d'enfant. L'air résonna bientôt des rires de sirènes batifolant à la surface des eaux, venues savourer la douce caresse de l'astre.
L'océan s'assombrit : l'interminable serpent de Midgard quittait lui aussi les profondeurs pour se réchauffer. Amusées, les sirènes se mirent à le harceler en riant de plus belle ; la créature, exaspérée, eut tôt fait de rejoindre à nouveau les abysses. Elles le suivirent, et l'endroit retrouva un peu de sa quiétude.

Puis un grondement monstrueux assaillit le ciel, l'espace-temps se rompit : à deux-cent mètres au-dessus de la surface, une explosion de noirceur plongea à nouveau, le temps d'une seconde, les quelques kilomètres alentours dans la nuit. Avec la même violence, l'obscurité se résorba, et là où elle s'évanouit, quelque chose apparut.
L'objet chuta plusieurs secondes avant de crever brutalement la surface. Actionnant vainement ses membres, alors que sa lourdeur l'entraînait irrémédiablement, plusieurs minutes cette fois.
Il s'étala enfin de tout son long trois mille mètres plus bas, se releva tant bien que mal. Dans l'obscurité la plus complète, il hésita, puis se mit à marcher. Lentement.

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Ce fut sur une plage de rubis qu'il émergea finalement. Les chapelets d'algues qu'il traînait depuis des lieues s'échouèrent dans l'écume, tandis que son corps terriblement dense faisait crisser les gemmes sous ses pas de géant.
Devant lui d'énormes falaises se dressaient, trouées de canyons où quelques communautés troglodytiques vivaient dans l'ombre et la peur des Dieux. Depuis leurs habitations primitives creusées dans la roche, les petites silhouettes sombres s'affolèrent en voyant le colosse pénétrer leur territoire, avant de le voir le quitter quelques enjambées plus loin. Là l'attendait un immense désert de sable, où quelques dunes s'élevaient en formes alambiquées comme en souvenir du passage de quelque démiurge capricieux... La marche du golem était encore loin d'être terminée.

Enfin 4i@ réapparut dans le ciel, de retour de son espace-temps d'origine. La différence entre les vecteurs vitesse entre la lune de Maronek et la Terre fit arriver le robot de plein fouet dans la mer à une vitesse d'environ soixante-trois mille kilomètres par seconde. En revanche, le programme de positionnement l'avait calé à seulement dix mètres du sol. Une fraction de seconde plus tard, 4i@ heurtait le fond de l'océan, engendrant une déflagration d'eau sur des kilomètres alentour, ravageant les plages d'une île avoisinante. Un éventuel observateur aurait cru à une explosion sous l'eau.

Ily eut quelques secondes de silence et de contemplation d'un paysage désolé et apocalyptique où l'air était composé de poissons, de fragments de rochers et d'iode, puis une pluie métadiluvienne s'abattit sur le paysage.

4i@, un peu sonné par l'impact, venait de remettre ses circuits en route. L'effet Morphaïl l'avait ramené à la Fin des Temps, cela ne faisait aucun doute. Se protégeant d'un bouclier gravitationnel bleuté, il s'envola du cratère immense qu'il venait de créer et qui se remplissait peu à peu du contenu du ciel. Il évita un requin de trente mètres et finit par atteindre le vrai ciel. De là-haut, on voyait tout.

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L'arrivée du robot à vitesse quasi-relativiste avait engendré, outre une légère mais notable distorsion de l'espace-temps, un puissant séisme et une série de raz-de-marée. Déjà bien loin de la côte, occupé à maintenir son rythme de croisière (entrecoupé par quelques téléportations maladroites), le golem n'eut pour toute réaction face au tremblement de terre que de se figer, les deux jambes clouées dans le sable comme les piliers d'antiques ruines. Pendant ce temps, le premier tsunami s'élevait au-dessus de l'horizon dans un murmure inquiétant.

La vague gigantesque surprit le colosse alors qu'il commençait à remettre un pied devant l'autre. Après l'avoir plongé dans l'ombre, elle s'abattit sur son dos comme un prédateur affamé : contre toute attente la minuscule proie se maintint quelques secondes, s'enfonçant encore un peu plus dans le sol avant d'y planter également ses bras, martyr impassible et inébranlable. Ou presque.
Malgré sa masse, la tourmente l'emporta finalement, dernier débris jonchant la surface, pour ne le faire s'échouer qu'un kilomètre plus loin à l'intérieur des terres. Il se releva enfin, dominant une vague de quelques mètres que le désert eut tôt fait de boire, et... s'immobilisa.

Nulle considération pour le paysage dévasté qui s'étendait derrière lui, nulle pensée quant à l'origine de tout cela : ses senseurs optiques venaient simplement de lui confirmer, à quelques centaines de kilomètres, la présence de l'Entre Ciel et Terre, mince filament tendu au-dessus de l'horizon. Il reprit sa marche singulière, comme si de rien n'était.

Sujet: Re: L'amerrissage Jeu 03 Jan 2008, 20:35

4i@ remarqua quelque chose dans le sol que visualisaient ses senseurs. Une forme de vie inquiétante qui se déplaçait lentement en direction de l'Ouest. Il fallait aller voir, mais la situation était clairement différente de ce que 4i@ avait l'habitude de vivre. En effet, le robot avait maintenant accompli sa mission d'exploration et il était bloqué à la Fin des Temps, où rien ne le poussait plus vers aucun but. Il n'y avait donc plus besoin de cartographier, répertorier, classifier... Mais comment vivre sans but, quand on était une machine ?

4i@ fit cent millions de fois le tour de ses circuits, puis décida qu'il faudrait apprendre.

Se détournant de son objectif acquis par réflexe, 4i@ regarda plus loin au-dessus de la mer. Puis ses réacteurs à flux thermoplasmique produirent une déflagration. Une seconde plus tard, on ne voyait qu'un point dans le ciel.

http://ldft.heavenforum.org/le-ciel-f7/concours-de-creation-de-paysages-t111.htm#407

Sujet: Re: L'amerrissage Mer 30 Jan 2008, 21:20

4i@ revint sur les traces de cette dernière découverte, qui l'intriguait d'une façon toute différente par rapport à la dernière fois. Répertorier ne faisait plus partie de ses tâches. D'ailleurs le mot "tâche" ne devrait plus exister dans son vocabulaire que dans l'optique d'une évocation de son passé robotique.

Le Golem - c'était ainsi que 4i@ avait décidé de l'appeler, en référence à des légendes perdues dans l'histoire de l'humanité - avait disparu de ces coordonnées. Evidemment : il n'allait pas rester là, à l'attendre.

Malgré la toute nouvelle nature humanoïde - quand pourrait-il enfin dire "humaine" ? - de 4i@, ce dernier avait conservé certains avantages et calcula brièvement la position actuelle du Golem, supposant que sa trajectoire était rectiligne et à vitesse constante. Puis il se téléporta fructueusement en plein sur la tête de la curieuse et gigantesque créature...

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Les dunes onctueuses de l'immense désert de sable étaient déjà loin derrière quand les pas de géant firent craquer l'asphalte. Entre les deux territoires subsistait une bande de terre aride, poussiéreuse, crevassée et désespérément plate, un des derniers vestiges d'avant la Fin des Temps. Et devant le Golem, une oeuvre d'un goût douteux, sans doute oubliée par son créateur.

Sous un ciel violet qu'effilochait un troupeau de nuages noirs, aux pieds de quelques rares tours éventrées, deux armées se ruaient l'une sur l'autre parmi les débris d'une ville dévastée. Dans cette reconstitution vaniteuse de quelque fait historique, l'on avait figé les innombrables assaillants dans leurs postures d'attaque, certains demeurant en apesanteur.
A gauche, des hommes aux crânes rasés, habillés de draperies oranges et armés de fusils rudimentaires couraient et sautaient vers le front ennemi, soutenus par de joufflus géants de pierre aux yeux de feu. A droite, de sombres et frêles créatures, plus machines qu'humaines, se déversaient en une masse grouillante vers les moines-guerriers en déployant leurs membres acérés. De ce chaos immobile s'élevaient des hurlements, des rafales et des crissements métalliques en boucle, répétés inlassablement.

Le Golem était occupé à se frayer un chemin au travers du champ de bataille, broyant en fait indifféremment les assaillants des deux armées quand il daigna prendre conscience de l'intrus perché sur son crâne. Si ce dernier avait dû manipuler la trame avec une adresse remarquable pour y parvenir, l'automate ne détectait aucun danger immédiat : après plusieurs secondes de réflexions fastidieuses, il décida de continuer sa course comme si de rien n'était, avec son couvre-chef en muscle.
A une centaine de kilomètres de là, l'Entre Ciel et Terre reflétait la lumière d'un astre artificiel.

4i@ resta là, à regarder la bataille se dérouler sous les pieds de sa monture improvisée. Bizarrement, les guerriers des deux camps ne prêtaient aucune attention à leurs visiteurs, comme si la scène se déroulait dans une autre dimension, du moins jusqu'à ce que ceux qui se verraient écraser par le Golem constatassent qu'il ne mourraient pas de la main de leurs ennemis mais du pied d'un monstre impartial.

Rapidement ; l'ex-robot se désintéressa de ce qui se passait au sol pour examiner de plus près le Golem. Ce dernier avait un aspect schématique qui donnait à penser qu'il avait été dessiné avant d'être créé. Déduction immédiate : cet être était en provenance d'une époque précédant la Fin des Temps... Ce géant de pierre était-il perdu ou était-il venu de son plein gré ? Question difficile.

4i@ se frappa le front du plat de la main, mimique dont il se félicita intérieurement. il suffisait de lui poser la question... Lévitant à un petit mètre devant les yeux figés de la créature, 4i@ s'exprima en ces termes :

- Bonjour, géant de bronze. Je m'appelle 4i@-Humain. Vous semblez être à la recherche de quelque chose. Peut-être puis-je vous venir en aide ?

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Un guerrier-moine vola par dessus ses confrères comme un pantin désarticulé, aidé par le pied gauche du golem. Comme les autres victimes humaines de sa marche inexorable, son corps libéra un fluide noir et visqueux, témoignage de la négligence de l'auteur du spectacle (qui avait pourtant pris soin de rendre leur peau insensible aux ravages du temps). Pourrissant sur place, les courageux humains n'en continuaient pas moins de défier les ennemis du regard, à défaut de pouvoir les atteindre.
Les combattants pétrifiés se firent de plus en plus rares, tandis que le géant quittait le champ de bataille. Il capta les ondes de basse fréquence émises par la chose qui voletait autour de son crâne, sans pour autant y prêter la moindre attention. Il jugea les turbulences engendrées par le volatile dans l'air environnant bien trop faibles pour constituer un réel obstacle.

4i@ se laissa retomber, songeant à éviter de se faire écraser par la mystérieuse créature de métal. Ce dernier qualificatif était ce qui en lui suscitait l'intérêt : 4i@ savait - ou croyait savoir - ce que l'on ressentait (le mot était grand) lorsqu'on était composé d'un alliage.

Dès que l'ex-robot toucha le sol, de nombreux soldats immobiles étaient là, si réels qu'on aurait pu les entendre crier. Répondant par un hurlement autrement plus terrible emprunté à sa millénaire effigie, il les pourfendit de son énorme épée. Déconcentré par son acte, il laissa le Golem lui marcher dessus. Heureusement, il était plus solide que ces pantins ; et quand le pied décolla, 4i@ se releva indemne, riant de sa propre inattention. Puis il courut à la poursuite de son nouveau sujet d'étude, découpant au passage les obstacles qui malgré eux le ralentissaient.

Il ne l'avait pas entendu, ou il avait simplement décidé de l'ignorer... 4i@ trouvait l'énigme de plus en plus prenante, de plus en plus intéressante. D'où venait-il ? Où allait-il ? Lui poser des questions s'était avéré inutile, il allait donc falloir s'attaquer à des méthodes plus radicales.

Il finit par le dépasser, malgré les quelques combattants acharnés, figés, puis attrapa le pied droit, choisi presque arbitrairement : c'était celui-là qui l'avait comprimé dans la terre. Il laissa encore une chance au golem en l'interpellant de toute la force de sa voix d'hôtesse de gare, puis, n'obtenant pas de réponse, il multiplia sans lâcher prise son poids par dix millions.

Technique efficace : le titanesque muet s'arrêta, dépourvu de sa mobilité, comme collé au sol. On allait enfin savoir de quoi il était capable.

Le Golem était tombé par terre, entraîné par sa propre inertie, et ne bougea pas pendant un temps si long que 4i@, après des torrents de réflexion personnelle sur ce qui venait de se produire, décida de s'en désintéresser.

L'ex-robot s'envola donc à toute allure vers une destination... incroyable.