[Topic multi-usages] Passages en vitesse

Jagged descendit le long couloir hélicoïdal en marchant simplement, comme le temps le lui permettait. Il rencontra en chemin son ami le Lecteur Eternel, plongé comme à son habitude dans la lecture d'un passionnant ouvrage : la vie de Novik Naomer-Oolon. Ils échangèrent quelques mots courtois, puis Jagged poursuivit son chemin.

Après quelques jours de marche joyeuse, il parvint enfin au bas de la Tour. Cueillant quelques roses - les épines ne le blessaient pas - pour en humer ce délicieux parfum qui se situait entre le patchouli et le fromage de chièêêvre, Jagged eut une idée splendide. Pourquoi ne pas composer un bouquet à ce cher Baphomet ? Il serait certainement ravi de pouvoir orner sa demeure d'un tel cadeau !

- Oui, Jagged, vous êtes splendide à souhait, se dit-il à lui-même dans un élan de profond snobisme.

Avec des gestes élancés, Jagged continua son chemin en direction de l'Enfer tout en cueillant les fleurs rouges.

- Mille roses pour mon ami le Diable, j'espère qu'il sera content !

Lorsque le bouquet commença à être trop gros, Jagged le fit flotter dans l'air, comme un ballon. Les roses s'ajoutaient elles-mêmes à l'ensemble, qui forma bientôt une grande boule rouge odorante.

Jagged fit des lieues et des lieues sur la terre, suivi de son joli bouquet, et arriva enfin... aux Portes de l'Enfer.

La machine revint exactement à l'endroit d'où elle était partie, une fraction de seconde après être partie. Un observateur extérieur aurait vu le Lecteur monter, la sphère bleue apparaître puis disparaître, révélant un nouveau passager... Kozh Trenk.

Les deux personnages descendirent de l'appareil ; le Lecteur épousseta sa chemise, qui lui semblait enfarinée - mais par quoi ? - et regarda Kozh dans les yeux :

- Je vais chercher ton ami ; reste ici jusqu'à ce que je revienne, ce ne sera pas long...

Le Lecteur monta dans la machine temporelle, et fut immédiatement interrompu par une vision. Juste à côté d'eux, une sphère rose venait d'apparaître : c'était probablement un autre voyageur temporel... Quand enfin le système de chronopropulsion se mit à tourner moins vite, on le reconnut : c'était Killer, himself, mais changé. Il semblait avoir quelques années - et quelques égratignures - de plus que quand il avait quitté la machine du Lecteur...

Ce dernier, stupéfait, descendit de la machine. Le Lecteur n'avait pas lu le Livre de Vie de Killer 777 mais il s'agissait assurément d'un personnage exceptionnel, au même titre que Kozh Trenk... Voire même plus puisqu'il avait réussi à terminer le voyage par lui-même. Était-ce de la magie ? La technologie permettant le voyage temporel n'apparaîtrait pas avant cent cinquante mille ans au bas mot par rapport à l'époque à laquelle il avait été abandonné.

- Co... Comment as-tu fait pour venir ici ?
- Par mes propres moyens, en tout cas, dit Killer au Lecteur Éternel. Et ça n'a pas été simple.

Killer se tourna et l'on vit que dans sa main droite il tenait une grande épée, de très belle facture. Il la laissa pourtant tomber au sol comme si elle n'avait pas plus de valeur qu'un vulgaire bâton.

- Je voudrais me reposer, maintenant. Salut mec, ça va-t-y toi ? dit-il à Kozh, le sourire désormais aux lèvres et s'approchant de lui, prêt à lui faire la bise.

Kozh, rendu paranoïaque par ses abus illicites, et plus particulièrement par ces dernières minutes de "vie", ne pu s'empécher de sortir un :

- Mais attends là... Nanan, y'a du foutage de gueule, j'me fais avoir quelque part là... Killer, regarde-moi !

Il avait pour habitude de sonder les gens à travers leur regard, et leurs expressions. Il recula donc de deux pas, jeta son regard sur Killer 777, puis le renvoya sur le Lecteur Éternel, pour enfin ordonner :

- Allez assis là, tout l'monde s'assoit, du posage dans l'air, ça aidera à la reflexion !

Et du tac au tac, d'un tout autre ton, il repris Killer 777 dans son champ de vision, et lui lança :

- Hey ! Mon bisou ! avant qu'il n'ai eu le temps de s'assoir.

En effet, Killer 777, "Killer", comme il aimait à l'appeler, était le seul homme, hors contexte familial, à pouvoir lui faire la bise.

Un sourire qui en disait long sur ce que Killer venait de traverser et les souvenirs qui émanaient de cette phrase s'esquissa, et Killer vint embrasser Kozh, comme à son habitude, en posant sa main droite sur son bras.

- Ca, c'est fait ! dit-il, rigolard. Les trois hirsutes du temps prirent place dans l'herbe qui semblait ne jamais avoir eu besoin d'être traitée ni tondue, et attendirent le premier "jeté de dé oral".

K. Trenk se lança, toujours avide de connaissance, et de plus en plus impatient de comprendre. Il se tourna d'abord vers le Lecteur Éternel, et lui dit tout de go [HRP]( Jouez au Go !!! )[/HRP] :

- J'avais cru comprendre que tu savais tout... J'ai dû me tromper...

Se tournant alors vers Killer, il lui dit simplement, connaissant les capacités de son ami à la "compréhension TGVienne" :

- Tu m'racontes ton coup d'vieux, vite fait ? Tu tires une gueule mon pôte, on dirait une guerre mondiale à toi tou seul ! Mon voyage m'a pas mal chamboulé, mais quand j'vois ta tronche, j'ai l'impression qu'le tien t'a vraiment repassé !

Killer 777 le regarda, posa un temps, puis commença a raconter son histoire, rocambolesque.

- Mais attends là... Nanan, y'a du foutage de gueule, j'me fais avoir quelque part là... Killer, regarde-moi !

Killer regarda son ami, radieux. Il reconnaissait bien là son vieil ami qui lui avait tant manqué. Il se laissa sonder, avec un petit haussement de sourcils qui voulait dire "Tu m'as bien regardé, ça y est ? Bah tu vois, c'est moi...". Le message passa avec succès.

- Je fumerais bien une clope, moi. T'en as pas emmené, Kozh ?

Non. Il n'avait pris que sa bouteille, qu'il propos en compensation. Killer la vida d'un trait : il n'en restait presque plus. Il poussa un "ahhh" de plaisir.

- Putain. T'imagines pas le bien que ça fait. De quand je viens, l'alcool n'existe plus.

Il insista pour les cigarettes. On était à la fin des temps, bordel. Il y avait forcément un moyen de s'en procurer. Le Lecteur leur en créa quelques-unes d'après ce qu'il avait lu du passé. Les clopes avaient un goût un peu bizarre, mais restaient fumables malgré tout. Pour quelqu'un qui n'en avait jamais vu, c'était une fidèle reproduction. Killer sortit son Zippo et alluma les deux clous de cercueil, puis en tendit un à son ami.

- J'avais cru comprendre que tu savais tout... J'ai dû me tromper... dit Kozh, perspicace, à l'intention du Lecteur.

Ce dernier s'excusa en disant qu'il n'avait pas encore tout lu. Il était donc coupable de non-omniscience, pensa Killer. On aurait tout vu. Enfin Kozh l'enjoignit de raconter son histoire. Il prit alors une grande inspiration, comme s'il comptait tout raconter d'un seul souffle, mais exhala l'air tout aussi prestement. Fatigué il était. Et dire qu'il y avait même pas cinq minutes...

- Je la fais courte, parce que sérieusement, je suis beaucoup trop fatigué et beaucoup trop content d'être ici pour avoir envie de parler de mes aventures dans le temps. En gros, j'étais en l'an soixante quatorze mille neuf cents et quelques. La terre était sous la domination d'un tyran qui régnait sur le monde depuis deux cent cinquante siècles... Tu te rends compte ? Vingt-cinq mille ans... Ce mec a été un héros au début de sa vie. Mais il est devenu aigri par son immortalité. Moi, je voulais juste rentrer en 2008 ou venir ici. Et j'ai fini par trouver un moyen de venir ici. Voilà.

Il regarda le Lecteur avec un léger air de défi. Cette fausse femme - il se souvenait d'elle comme si elle avait été sa désormais défunte mère - n'avait donc pas lu son Livre de Vie ? Il le faudrait pourtant. Car il était devenu réellement intéressant ces derniers temps.

Kozh regarda à nouveau Killer 777. Effectivement, il semblait fatigué, voire même terassé... Le connaissant, il ne devait pas simplement avoir fait un footing d'une demi-heure... Ses yeux se tournèrent vers l'épée qui trainait à terre, et remarqua instantanément qu'elle n'avait pas été un ornement. La lame était efillée, mais on pouvait voir des éclats, preuves de combats violents.
Il ne lui posa pas plus de questions, voyant le valeureux s'assoupir, sa cigarette à la main, et décida d'en apprendre un peu plus sur ce lieu, ce temps, auprès du Lecteur :

- Maintenant qu'on y est... Choisis tes mots, et dis-moi ce qu'il est advenu, ce qui est permis, comment ça marche... Tiens, comment t'as fait ces cigarettes et... Oui, surtout... comment t'expliques ta "non-féminité" surtout, ça m'intrigue ça !

Kozh eut un violent mouvement de recul, retrouvant ses anciennes habitudes combatives. Inconsciemment, il avait repris une vieille position, "Tate shuto uke", le pied gauche en arrière, en appui dessus, la jambe droite en avant, presque tendue. Son corps se profilait en direction de l'ennemi, la main droite allongée, comme pour trancher, faisait office de bouclier. Le long de sa hanche était collé son poing gauche, serré, prêt à renvoyer un coup.

Killer 777 lui aussi semblait prêt à un combat perdu d'avance, et à en voir ses yeux, ce n'était pas le premier... Que pouvait-il avoir vécu de si terrible pendant cette absence ???

La statue de granit s'amusa de leurs parades, et laissa s'échapper un grand rire franc et, pour ainsi dire, massif.

Il semblait de toute évidence que les notions qu'ils avaient apprises seraient inutiles contre un tel monstre de puissance... Kozh tenta de comprendre les paroles proférées, "Je le recréerai quand la punition sera levée", les possibilités étaient-elles à ce point élevées dans cette fin des temps ?

- Ne nous renvoyez pas, il est déjà trop tard. Nous sommes venus de notre propre gré, pourquoi devrions nous fuir, ou repartir ? Essayons plutôt de discuter... De toute façon, nous reviendrons...

Il regretta directement cette dernière phrase, voyant la réaction du pseudo-Golem, qui assurément lui prouvait que l'immortalité n'était pas chose acquise pour eux... Il se tourna alors vers son ami, espérant qu'il aurait déjà croisé ce genre de péripétie, et le laissa poursuivre la "réclamation".

Killer n'entendait pas cette statue de cette oreille. On lui avait pris son ancienne vie pour lui en donner une nouvelle. Mais avec tout ce qu'il savait du futur, retourner à son existence passé n'était plus possible : si on le renvoyait en 2008, il ne vivrait plus jamais comme avant.

- Non, c'est faux : nous ne reviendrons pas si vous nous renvoyez à notre époque. Par contre, cela provoquera un paradoxe temporel qui risque de modifier notre futur. Et rien n'indique alors que vous existerez toujours.

Killer jouait là une carte risquée ; il avait sa propre théorie sur le temps, mais considérait qu'il en savait plus que la plupart des gens sur le sujet. Mais quelqu'un de la Fin des Temps... N'avait-il pas un savoir absolu ? Il espérait que sa diversion fonctionnerait.

- Ha ! se moqua Lord Jagged. Mais je voudrais vous faire remarquer une chose : je n'existais pas avant que vous ne modifiiez le temps. Mais maintenant, je suis là, et bien là. De quelle année venez-vous donc ?

Killer resta bouche bée un bref instant ; cela se remarqua à peine, car l'instant d'après il arborait un rictus légèrement machiavélique. Jagged devint perplexe.

En réalité, Killer n'avait pas encore trouvé à la parade à ce qu'avait dit le Danseur, mais mieux valait lui faire croire que c'était déjà le cas. Il regarda Kozh Trenk avec ce même œil semblant de réussite, puis se reporta sur Jagged.

- Si on ne lui dit pas de quand nous venons, il n'a aucun moyen de le savoir. Il suffit de nous taire, et il y sera obligés de nous laisser rester ici. Héhé !